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L’ENNEMI DES FEMMES

je la redoute. J’ai peut-être mérité de souffrir… Voyons, racontez-moi votre poème, votre roman, ou votre histoire, et j’essayerai de vous donner l’avis d’une mère ou d’une sœur aînée.

Petrowna aspirait depuis trop longtemps à cette confidence pour pouvoir d’abord raconter avec ordre, ce qui se passait en elle et autour d’elle. Ses premiers mots furent entrecoupés de soupirs, puis peu à peu son énergie naturelle lui revint assouplie.

Elle fit le récit complet de sa vie, de son enfance, de sa jeunesse, de son éducation. Elle peignit avec sincérité, et avec un peu de malice involontaire, l’intérieur paternel. Elle avait deux sœurs, dont l’une était mariée à quelques lieues de la ville, et dont l’autre était impatiente de mariage. Elle avoua que Constantin avait produit sur elle une impression étrange, mêlée de tendresse, de défiance, de colère ; mais elle sentait bien que ce sentiment confus n’était pas de la haine.

— Bref, j’ai peur d’aimer et j’ai peur d’être aimée, dit-elle pour conclure.

— Avez-vous donc peur de vous sacrifier ?

— Oh ! non, c’est, au contraire, ce désir d’immoler ma fierté, ma volonté, qui à la fois me tourmente et m’encourage. Mais peut-être M. Constantin croit m’aimer et ne m’aime pas ! Peut-être n’aurai-je pas à me dévouer !

Nadège regarda Petrowna, comme une coquette enfiévrée regarde son miroir.