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L’ENNEMI DES FEMMES

fuses, puis elle donna son nom, celui de sa famille, et ajouta :

— Madame, vous êtes la mère de toutes les âmes qui souffrent. Je souffre et je viens à vous.

Nadège sourit :

— Vous êtes bien jeune pour souffrir. Quel âge avez-vous ?

Petrowna dit son âge. Nadège la fit asseoir auprès d’elle :

— Je vois ce que c’est, reprit Nadège avec une indulgence maternelle. Et, se penchant à l’oreille de Petrowna : Vous aimez quelqu’un, n’est-ce pas ?

Petrowna, qui venait pour parler de cet amour, parut confuse de la question. Son joli visage s’empourpra, elle baissa les yeux ; puis, les relevant aussitôt avec un effort :

— J’ai peur, murmura-t-elle, d’être disposée à aimer.

— Vous avez peur d’un devoir et d’un bonheur ?

— Ah ! madame, répliqua vivement la jeune fille, si un prêtre avait pu me comprendre, je serais allée me jeter à ses genoux. Voilà la première fois que je pense tout haut. Il m’a semblé que vous, dont l’esprit est si haut, la vertu si pure, la bonté si parfaite, vous qui êtes trop grande pour n’avoir pas déjà souffert, vous devineriez mieux que tous ce qui se passe en moi, et me donneriez un conseil que je jure de suivre.

— J’ai souffert, oui, mon enfant, dit Nadège ; mais je n’ai que mon expérience à mon service et