Page:Sacher-Masoch - L’Ennemi des femmes, 1879.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
L’ENNEMI DES FEMMES

honneur. En revanche, les hommes avaient deviné bien vite, non pas une ennemie, mais un juge, ce qui les effrayait davantage. Aussi, les uns, les néophytes de l’école de Diogène, s’étaient-ils hâtés de la haïr, de la cribler de leurs sarcasmes ; tandis que les autres s’étaient mis plus adroitement à l’adorer pour désarmer sa justice.

Elle avait vingt-huit ans. Elle était dans tout le rayonnement d’une beauté qui devait sans doute à des douleurs éprouvées par la réflexion cet achèvement que la mélancolie donne à la rectitude et à la finesse des traits.

Nous la surprenons le matin, à l’heure où, tout en buvant par petites gorgées son café, la directrice de la Vérité parcourt ses lettres et ses journaux.

Ses cheveux bruns répandus sur ses épaules, encadrent son visage au teint mat. Un peignoir blanc dont les larges manches s’agitent comme des ailes au moindre mouvement, en faisant frissonner les papiers qu’elles effleurent, laisse deviner, sous ses plis flottants un buste admirable, une taille bien prise, et laisse voir des bras d’une perfection absolue.

La chambre est maintenue dans un demi-jour par des jalousies baissées ; un petit jet d’eau, fort à la mode, entretient un peu de fraîcheur dans la pièce en éparpillant la poussière humide sur des fleurs rapportées d’une grande promenade faite la veille à la campagne.

Nadège est assise dans un fauteuil bas, de cuir