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L’ENNEMI DES FEMMES

étalée sur sa chemise d’une blancheur éclatante.

Petrowna qui, la pipe allumée, s’était occupée du jardin, vint se placer devant le kiosque, et, d’une voix décidée :

— Papa, qu’as-tu donc planté dans ce carré ?

Le ton de la question intimida tout le monde. On craignait la petite sauvage. Elle avait été longtemps négligée par sa mère, opprimée par ses sœurs, taquinée en toute occasion par les domestiques, jusqu’à un certain jour, où, se redressant sous la tyrannie universelle, s’étant fortifiée et émancipée dans le silence de sa solitude, elle imposa à son tour l’autorité de son esprit ferme et hardi, mais franc et adorable, malgré tout.

À cette voix claire et vibrante, M. Pirowski se réveilla ; madame Pirowska planta son aiguille dans sa broderie, et Léopoldine ferma son livre.

— De quel carré parles-tu ? demanda le père.

— De celui-ci, répondit Petrowna, en désignant le carré.

Il paraît que M. Pirowski ne se souvenait plus de ses travaux de jardinage, car il se gratta le front :

— Qu’est-ce que j’ai donc planté là ?

— Des pommes de terre, je crois, dit madame Pirowska, d’un air de doute, pendant que sa belle main portait avec dignité le lorgnon à ses yeux noirs.

— Je le crois aussi, murmura M. Pirowski.

— Des pommes de terre ! s’écria Léopoldine presque indignée : je croyais que c’étaient des roses.

— Ah ! oui, des roses ! il est possible que ce