Page:Sacher-Masoch - L’Ennemi des femmes, 1879.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
L’ENNEMI DES FEMMES

à la maison. Je le guérirai de tout, excepté de la folie nationale.

Nadège ne se défendait pas d’une certaine coquetterie. Elle mettait, en grande artiste féminine qu’elle était, la coupe jusqu’aux lèvres de son mari, et ne la lui retirait que tout juste au moment où il voulait boire gloutonnement son pardon.

C’est ainsi que, sans pruderie ridicule, elle le laissait entrer tous les matins dans sa chambre. Il arrivait avant qu’elle fût levée, s’agenouillait devant son lit, lui baisait ses mains, et n’était jamais plus heureux que quand il obtenait, au lieu de la main, qu’elle lui tendît son admirable pied mignon, cambré, qui paraissait sculpté par Canova dans le plus pur marbre de Carare.

C’était lui qui lui mettait ses pantoufles, qui lui passait sa robe de chambre doublée d’hermine, qui la servait au déjeuner, au dîner, au souper, ne la quittant que quand elle se renfermait pour travailler. Le journal était resté entre eux, comme un champion rassurant pour la liberté de la femme, menaçant pour les prétentions du mari. Aussi ne parlait-il plus jamais du journal, et laissait-il Nadège se concerter avec mademoiselle Scharow et les autres collaborateurs, sans vouloir intervenir.

Quand Nadège sortait, il la suivait. Quand elle était obligée d’aller en visite ou en soirée, plutôt que d’entrer avec elle, de se trouver avec elle, ce qui eût été tout simple, trop simple, il s’imposait le devoir fatigant de l’attendre pendant des heures en-