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L’ENNEMI DES FEMMES

me haïrais de t’arracher un cri de pitié, et je ne me pardonnerais pas de n’obtenir que par compassion ce que je veux de ton libre amour. Mais, crois-moi, je ne puis vivre sans toi ! Je ne me donnerai pas la mort ; seulement, je sens que, si tu diffères, je la trouverai.

— Ah ! Diogène, ce n’est pas l’homme nouveau qui parle ainsi ; c’est encore l’homme ancien.

— Eh bien, non ; je vivrai quand même, et si tu me fais attendre toujours cette douce parole que j’attends de toi, je vivrai pour faire la preuve de mon repentir. Je ne demanderai rien, rien ! Es-tu contente ?

Elle sourit et posa une main sur l’épaule de Diogène.

— Ce n’est pas seulement ta beauté qui se révèle, comme si je l’avais toujours ignorée, — reprit-il avec exaltation, — c’est ta raison, ton génie. Reste l’apôtre des idées que tu défends ; fais-moi, dans la mission que tu as acceptée, la part que tu voudras ; n’abdique pas ta royauté ; je ne te demande aucun sacrifice. Seulement tu es trop aimante pour aimer seulement l’humanité. Tu es trop grande pour n’avoir pas la tentation de t’amoindrir, en élevant un cœur à la hauteur du tien. Si tu m’avouais un amour pour un autre, je crois que maintenant j’aurais le courage de m’éloigner avec un respect égal à ma douleur profonde. Je me dirais : Je l’ai méconnue ; j’ai mérité d’être dédaigné. Mais si tu n’aimes personne, permets-moi de prétendre à ton amour.