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L’ENNEMI DES FEMMES

Cette attitude dépita le philosophe, qui reprit avec plus d’aigreur :

— Je vous ennuie de mon histoire ?

— Non, mais vous ne m’effrayez pas.

— Vous êtes dans la ferveur du premier enthousiasme. Mais si votre femme indifférente, ne prenant nul souci de se parer, mettait votre poésie à une épreuve de chaque jour ? Si elle vous apparaissait en bonnet de nuit autant de fois que vous souhaitiez de voir ses beaux cheveux relevés sur son front ? si elle se montrait jalouse, sans s’être montrée jamais aimante ?

— Vous vous êtes séparé d’elle fort à propos, remarqua Jaroslaw avec un regard complaisant.

— Ce n’est pas moi ! s’écria Diogène ; je porterais encore ses chaînes ; je n’aurais jamais eu le courage de la quitter, bien que nous n’ayons pas eu d’enfant, si elle ne s’était pas éloignée de moi… Mais, encore une fois, en voilà assez ! Ce ne fut d’ailleurs ni ma première, ni ma dernière désillusion. Je voulus me consoler, et j’augmentai mes griefs sans satisfaire ma haine. Aujourd’hui, j’ai fait le serment d’Annibal contre les femmes. Si je ne puis empêcher des fous de se marier, je suis toujours prêt à leur fournir la preuve d’une trahison qui légitime une rupture. J’ai amassé des archives qui suffiraient à faire finir le monde, si tout le monde me consultait. Quelques amis convertis à mes idées forment avec moi une société, une espèce de république. On commence à nous