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L’ENNEMI DES FEMMES

corbeau gigantesque, aux ailes déployées, qui planait, immobile.

— Ce n’est pas un augure, — dit-il, en satisfaisant une fois de plus la verve poétique qui le taquinait. — C’est un blason, un grand oiseau héraldique ; c’est l’estampille que le gouvernement veut mettre au bas de la page blanche de nos contrats. Regardez si tout n’est pas en fête !

Il montrait des bandes d’alouettes qui couraient sur la grand’route, picorant les graines que les traîneaux chargés de sacs avaient pu laisser tomber en passant. Une petite belette, dans son blanc vêtement d’hiver, sortait d’un tas de pierres et regardait passer ces heureux ; tandis que tout au loin, derrière la forêt, on entendait un hurlement vague, celui de quelque loup affamé qui n’osait sortir et se mettre en chasse, par ce temps prodigieux et éblouissant.

— Sais-tu, Jaroslaw, — reprit Constantin, après un intervalle de silence, en redoublant de familiarité avec son ancien compagnon, depuis que celui-ci semblait vouloir établir de la distance entre eux, — sais-tu que ta fiancée Olga Karsowa est fort jolie.

Jaroslaw jeta un regard légèrement inquiet et jaloux sur Petrowna, et répliqua avec un soupir :

— Oui, dans Troïza on dit qu’elle est belle.

— Elle a du cœur, ajouta Petrowna.

— Oui, oui, elle a aussi soixante-dix iochs de terre, quatorze vaches, quatre chevaux, huit bœufs,