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L’ENNEMI DES FEMMES

son bon goût étaient impuissants à la défendre.

Les saluts courtois des hommes étaient devenus plus respectueux ; les révérences des femmes étaient empreintes d’un vague sentiment religieux. Comme elle traversait, par une après-midi, la place de la ville, pendant que le major passait la revue de ses dragons, le chevaleresque Casimir commanda qu’on présentât les armes à cette femme vaillante, et les cavaliers agitèrent leurs grands sabres, en acclamant Nadège Ossokhine.

Elle rentra chez elle, le cœur gros, et les yeux gonflés de larmes.

Le triomphe qui la virilisait, quand elle sentait sourdre en elle toutes les délicatesses féminines longtemps refoulées, quand elle écoutait les conseils d’une indulgence charmante, qui lui conseillait d’être bonne, de laisser battre son cœur retrouvé sous son armure d’amazone, la troublait et l’humiliait. Les grandes femmes ne sont souvent que des femmes qui s’obstinent à rester dans la vérité stricte de leur rôle naturel.

Est-il besoin de dire que Petrowna était la plus fervente admiratrice de Nadège ? Son amitié était devenue un culte superstitieux, mais un culte dangereux ; car elle puisait dans la contemplation de madame Ossokhine une ambition de force, un désir de vengeance martiale qui pouvait l’exposer à un acte de folie.

Quinze jours après le duel de Nadège, il se passa un fait étrange sur lequel la police ne put jamais