Page:Sacher-Masoch - L’Ennemi des femmes, 1879.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
L’ENNEMI DES FEMMES

voulait parcourir l’Orient, en traversant la Crimée et le Caucase ; mais une fièvre qu’il n’avait pas prévue le retint tout à coup à Odessa, et nous verrons ce qui advint plus tard de cette maladie subite.

Madame Ossokhine ne fut pas étonnée de ce départ ; elle parut s’y être attendue.

— C’est bien, — dit-elle. — Il prend le meilleur parti pour lui et pour moi.

Elle avait redouté quelque reprise violente de la vanité de son mari, quelque éclat funeste dans la ville. Son éloignement était un aveu, un acte de soumission.

Nadège avait l’âme trop grande, pour que la satisfaction de la victoire obtenue ne fût pas mêlée d’une profonde tristesse. Il n’y a jamais de colère dans un cœur féminin, sans l’arrière-pensée d’un grand acte de réconciliation et de miséricorde. Restait-il de l’amour dans ce cœur endolori, pour celui qui l’avait toujours si obstinément déchiré ? Malgré les violences, les préjugés, les faiblesses, disons le mot, les vilenies, les lâchetés de Diogène, cette femme qui n’avait peut-être un réel génie politique que parce qu’elle avait un vrai génie féminin, devinait-elle, voyait-elle distinctement ce qui restait de bon, de généreux, de naïf en lui ? Faisait-elle le rêve chimérique de le vaincre encore par la tendresse, après l’avoir vaincu par sa fierté et son courage ? C’est ce que l’avenir nous dira.

L’histoire du duel avait valu à madame Ossokhine une série d’ovations contre laquelle sa modestie et