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L’ENNEMI DES FEMMES

Combien de philosophes qui, ayant méconnu ou redouté l’esprit de leur femme, le nient, cherchent à l’étouffer, ou le calomnient, pour n’en pas subir la bienfaisante influence ? Combien de haines conjugales qui naissent d’un amour vaniteux de la part du mari, d’un sentiment légitime de fierté, de la part de la femme !

L’écrivain de la Vérité avait connu un philosophe de ce genre qui s’était tout à coup jeté dans la dissipation, dans l’amour vagabond ou vénal, pour échapper à l’obligation continue d’un amour déçu qu’il eût été obligé de traiter à l’égal de son admiration pour lui-même. Il affectait d’imposer une simplicité patriarcale à sa femme et se ruinait follement pour des créatures qui le corrompaient sans le venger de ses remords.

Un jour, ce raffiné nerveux, élégant et fourvoyé, poussé à bout par des remontrances, en vint à la brutalité la plus choquante et osa lever la main sur sa femme. Depuis ce jour, ils ne se sont jamais retrouvés face à face ; mais le coupable jouant au martyr, trahi et maltraité par les femmes galantes, se fit une joie méchante de faire autant de mal aux femmes honnêtes qu’il en avait éprouvé dans le commerce des autres. Il se donna la mission d’empêcher les mariages raisonnables, de troubler les intérieurs paisibles, de prêcher la haine des femmes. S’il l’eût osé, si cet homme qui se croit sans préjugés et qui subit celui de l’attention publique, n’eût craint d’être sifflé, il fût devenu le chef monstrueux et ri-