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L’ENNEMI DES FEMMES

L’écrivain commençait par s’étonner de la facilité avec laquelle on traite vulgairement de philosophe tout être blasé, ou plutôt inutile au bonheur des autres, qui se venge de son infériorité pratique par de l’ironie contre les gens utiles. Ces gens-là ne sont pas seulement les fruits secs de la vie sociale ; ils sont les fruits gâtés d’une éducation incomplète. Décrivant une individualité qu’elle feignait de construire avec des traits pris à plusieurs physionomies, s’attaquant en apparence à un être fantastique et symbolique, Nadège se représentait un de ces railleurs trop faibles pour se relever d’un échec subi par leur vanité, trop présomptueux pour douter jamais d’eux-mêmes, trop naïfs pour ne pas se duper, en voulant duper les autres, se vengeant sur la foule du mal qu’ils se font à eux-mêmes.

Dominé par un orgueil colossal, prenant les rêveries pour des faits acquis par l’expérience, faisant provision de sophismes, tenant magasin de cancans, hâbleur, pris pour menteur, calomniant quand il est à bout de médisance, ce tyran de l’opinion est le martyr de la confusion de ses idées et aussi de sa détestable mémoire.

Il voit tout ce qui lui est arrivé dans le passé, à l’envers, comme sur la plaque d’un photographe ; et parce que c’est de la photographie, il affirme l’authenticité de l’image ; il se croit infaillible, sans vouloir reconnaître qu’il ne demande jamais à sa conscience de redresser les images.