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L’ENNEMI DES FEMMES

tu peux le haïr ; mais contente-toi de le mépriser.

— Merci, Petrowna, dit mélancoliquement Léopoldine.

— Quant à moi, — reprit Petrowna, — je suis sûre d’être aimée, mais je ne suis pas certaine de l’être autant que l’ambition. Constantin est un honnête homme, timide, hésitant, qui affronte le risque de me déchirer le cœur, parce que Diogène lui a donné ce conseil. S’il n’est jamais que de la race des fonctionnaires, jamais je ne l’épouserai. J’aime mieux souffrir de n’être pas sa femme que de le sentir au-dessous de mon rêve, et de l’idée que je me suis faite d’un mari. Voilà pourquoi j’ai été dans le traîneau de Melbachowski ; pourquoi j’ai scandalisé la ville qui médit de ma coquetterie, quand jamais, au contraire, je ne me suis sentie si disposée à n’être point coquette.

Rentrée dans sa chambre, Petrowna perdit l’assurance d’amazone qu’elle avait eue en parlant à sa sœur. Elle eut beau se roidir contre elle-même, les pleurs finirent par éteindre la flamme de ses yeux, et tout l’orgueil déployé dans la journée se fondit dans un sanglot.

— Je suis bien malheureuse ! — s’écria-t-elle, — et Nadège est bien heureuse de ne plus aimer !