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L’ENNEMI DES FEMMES

avait à me rendre jalouse, — pensa-t-elle. — Celle-là est plus compromettante pour la fierté de son caractère que pour la dignité de son amour.

Ce fut avec ce sentiment âpre de dépit qu’elle reprit la route de la ville. Le traîneau de l’Arménienne, attelé de chevaux arabes, frôla celui de Melbachowski. Petrowna saisit violemment le fouet, dans les mains de son compagnon, et l’agitant avec frénésie, comme si la lanière eût lancé la foudre, elle frappa à coups redoublés les quatre chevaux noirs, espérant peut-être atteindre l’attelage de la belle Arménienne, qui se disposait à dépasser le sien.

Constantin, de son côté, voulut répondre à cette provocation et, pendant un quart d’heure, un galop vertigineux, fantastique, qui semblait le résultat d’une gageure, rapprocha les essieux des deux traîneaux dans le même tourbillon, faisant craindre qu’ils ne se touchassent pour se broyer réciproquement, tandis que les chevaux emplissaient d’une vapeur, bruyante comme celle de plusieurs locomotives, le brouillard blanc, argenté de neige, du crépuscule.

Melbachowski fumait et riait, s’amusant de cette scène et pensant qu’il faisait bien de ne pas aimer sérieusement Léopoldine, car elle perdrait trop à être comparée à sa sœur.

Petrowna descendit toute frémissante, devant la porte du palais de bois, se croyant satisfaite de sa journée.

Léopoldine ne rentra que beaucoup plus tard ;