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L’ENNEMI DES FEMMES

moins languir et se diminuer dans l’estime des libéraux. Elle comprit que son journal n’était plus qu’un instrument officieux du pouvoir ; car il suffirait de la moindre pression pour achever ce que la pusillanimité de mademoiselle Scharow et des autres collaborateurs avait commencé.

C’était le vrai supplice, le raffinement de tous les autres, le seul auquel le courage ne puisse vous soustraire, et qui s’augmente, en proportion même de la fierté.

Mais comment faire ?

Un jour, madame Ossokhine fut surprise dans son inquiétude et dans sa mélancolie par la visite du vieux Gaskine. Il avait trouvé le moyen d’obtenir l’autorisation d’une visite d’un quart d’heure, et, selon son habitude, il s’était empressé d’apporter dans un sac de toile bleue toutes sortes de provisions, miel, beurre, œufs, fromage, saucisson, sans paraître avoir calculé que ce superflu, ajouté à l’ordinaire de la prison, irait peut-être plus vite au buffet du geôlier, qu’à l’armoire de la captive.

Mais Gaskine était bien trop malin pour ne pas savoir que les exagérations même des provisions seraient un excellent passeport, pour les deux ou trois petites choses qu’il avait à communiquer à Nadège. Son sac bleu était le sac à la malice, et le miel était pour les cerbères de la police.

Nadège l’accueillit en souriant. Elle voulut surmonter sa tristesse. Elle s’informa de ce qui se