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L’ENNEMI DES FEMMES

d’adieu à la ville qu’elle quittait pour trois mois, et où elle laissait son œuvre, entre des mains à coup sûr fidèles, mais inexpérimentées et maladroites.

Tout à coup, elle se recula dans le wagon avec un tressaillement qui ressemblait beaucoup à un frisson ; car elle venait d’apercevoir, sur le quai de la gare, des yeux fixes, ardents, qui l’avaient suivie sans doute dans la rue, et qui venaient s’assurer de la réalité de son départ.

— Lui ! murmura-t-elle, en abaissant de nouveau son voile.

C’était Diogène, dans une attitude étrange, inexplicable, qui se tenait là, comme à un poste d’agent de police, les bras croisés, la tête haute.

L’ardeur de ses regards était-elle une flamme d’ironie peu vaillante ? un défi jeté à la femme héroïque qui allait, seule et simple, s’offrir à ses persécuteurs ? un témoignage de respect à ce cœur modeste qui se dérobait au triomphe ?

Après deux minutes de contemplation, d’arrêt, Diogène fit un mouvement pour se rapprocher du wagon. Mais le sifflet donna le signal du départ. Alors, il leva le bras et l’agita, et Nadège crut entendre une voix sifflante, aiguë, mêlée à celle de la locomotive, qui lui criait de loin : au revoir !

Madame Ossokhine fut songeuse pendant une partie du voyage. Elle se demandait ce qu’il fallait supposer de cette singulière apparition de son ennemi. S’était-il fait l’auxiliaire du gouvernement dans la