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L’ENNEMI DES FEMMES

versive avait des mœurs irréprochables : ce qui ne faisait que doubler son prestige et, par suite, son influence dangereuse.

Ses articles avaient la même perfidie que sa conduite. Ils étaient d’une modération, d’une humilité, et, en même temps, d’une grâce qui refusaient tout avantage à la susceptibilité du pouvoir. Ils n’étaient lus nulle part avec plus d’avidité et d’attention qu’à la police. On les faisait passer par une étamine si serrée, qu’on avait déjà recueilli quelques parcelles d’accusation et de calomnie, quand un jour, par imprudence, par générosité, par calcul peut-être, pour contraindre le pouvoir à un acte arbitraire, la Vérité inséra la lettre très éloquente et très substantielle de faits et de chiffres, d’un soi-disant instituteur de Lemberg, réclamant contre l’oppression du gouvernement. Ce fut le signal attendu et longtemps guetté.

Enfin ! on tenait un appel à l’équité, qui pouvait passer pour un appel à l’insurrection. Cette fois, la victime s’offrait et ne pouvait s’échapper, et comme on avait tout le loisir de la frapper, on feignit de procéder envers elle avec une apparente courtoisie. On ne l’arrêta pas le premier jour ; on débuta par la saisie du journal ; puis on fit une perquisition minutieuse, dans les appartements privés de Nadège, et dans les bureaux du journal.

Par un raffinement exquis, la perquisition eut lieu la nuit, tout à coup. Quelle bonne fortune, si, par hasard, cette vertu éclatante avait été surprise