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L’ENNEMI DES FEMMES

mademoiselle, je crois… je crois que je suis mortellement blessé !

Les petites mains se dégagent avec brusquerie ; la pitié s’éteint dans le regard. Au même instant, une voix se fait entendre derrière la clôture en planches du jardin.

— Petrowna ! Petrowna ! où es-tu ?

La jeune fille salue le promeneur et se retourne vers la petite porte, les deux longues tresses battent l’air ; puis la porte entr’ouverte se referme, la vision a disparu, et le cavalier jeté bas de son hippogriffe, comme il l’a été de son cheval, n’a plus qu’à se mettre, clopin clopant, à la recherche de sa monture, qui, après un temps de galop autour de la grande place, a été arrêtée par un hussard.

L’accident a été vu. Il se fait un rassemblement autour du cavalier, qui n’a besoin de personne et que chacun veut soigner, plaindre ou regarder. On se permet de lui tâter les bras, les genoux ; deux jeunes gens sont sortis du café et vont au-devant du patient qu’ils connaissent et dont ils serrent la main.

— Il est en caoutchouc ! dit l’un d’eux en tortillant sa barbiche noire. Un autre se serait cassé le cou.

— Grâce à Dieu ! cela n’arrivera jamais, — répond en riant le désarçonné, — aussi longtemps que nos sages magistrats municipaux, par égard pour les visions qui traversent les murs, en foudroyant les passants, négligeront de paver les rues.