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L’ENNEMI DES FEMMES

vrai d’un cœur fier et pur il y a une force invincible que rien ne peut vaincre.

— Vous croyez qu’il suffit d’aimer pour n’avoir rien à redouter de l’amour des autres ? demanda la jeune fille d’une voix peureuse.

Un nuage passa sur les yeux de Nadège. Elle pâlit légèrement.

— Je le vois, dit-elle tristement, celles qui ont été abandonnées ne se sont peut-être pas assez appliquées à aimer. Il y a dans les femmes, mon enfant, une vanité native que les hommes encouragent et dont ils abusent, pour se venger plus tard. Nous croyons que tout amour nous est dû, et nous ne nous appliquons pas assez nous-mêmes à aimer. Vous, ma chère Petrowna, vous êtes une de ces créatures privilégiées que les paradoxes d’une éducation futile n’ont pas gâtée ; votre hésitation même, votre révolte juvénile, votre terreur pieuse à l’approche de l’amour, ce changement rapide et en même temps profond dans votre caractère, soudain devenu si soumis et craintif, tout révèle une vocation à laquelle il faut vous abandonner. Ah ! ma fille, soyez heureuse de n’avoir pas besoin d’élever votre cœur au-dessus du simple amour humain ! Constantin me semble d’ailleurs un cœur sincère et loyal.

— Oui, mais je crains sa faiblesse.

— Vous serez sa force. Savez-vous bien que ce qu’il a fait hier est un acte de rebellion, de protestation éclatante contre Diogène ?