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L’ENNEMI DES FEMMES

siennes, aux longues tresses terminées par des nœuds de ruban, et qui, les pieds nus, la chemise bouffante sur la poitrine, viennent puiser de l’eau dans deux seaux suspendus en équilibre à chaque extrémité d’une perche posée sur l’épaule.

La place est plantée d’arbres, sous lesquels jouent les enfants et les chiens, tandis que sur leurs cimes, encore dénudées, piaillent des légions de moineaux.

Dans des espèces de carrioles en jonc tirées par des petits chevaux maigres s’entassent des paysans en habits de grosse toile, la tête couverte de bonnets d’astrakan et des paysannes en turbans blancs ou bigarrés, vêtues de peaux de mouton ; des soldats en pantalon bleu, en tunique blanche, coiffés de shakos en bois noir verni, fument paresseusement d’énormes cigares ; promeneurs et passants se détournent à peine des flaques d’eau bourbeuse qui étincellent au soleil ; çà et là, sur les toits fumeux, une cigogne immobile fait claquer son bec ; tout en haut, dans les airs, filent comme des flèches d’innombrables hirondelles, et, au-dessus d’elles, plane parfois en tournoyant un aigle majestueux.

On est au mois de mai. Un vent printanier, mais piquant, souffle des Karpathes voisins, encore couverts de neige. La bise chante dans les cheminées, et colore les joues des femmes, en moirant, sous un frissonnement, la fourrure épaisse de leurs lourdes pelisses.