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RÉCITS GALLICIENS.

mort et quelque animal effrayé fuyait dans les branches. Le ciel blanchâtre était devenu bleu et s’assombrissait par degrés. Les ombres se rapprochèrent et se confondirent enfin dans les ténèbres dont la masse impénétrable s’épaississait lentement. À ce moment, nous avions atteint le pied des collines boisées, et nous suivions un sentier étroit qui serpentait entre des champs de vaine pâture et de pommes de terre. Soudain, l’intervalle sombre de deux rochers s’illumina du côté de l’ouest et se mit à flamboyer comme si le feu était à quelque village ; puis, après un moment d’attente, la lune démasqua son disque d’or suspendu majestueusement dans l’obscurité du ciel, et répandit sur la campagne sa douce lueur consolante. Un courant d’air frais passa sur les tiges, les herbes, les feuilles des arbres et les cimes lugubres de la forêt de sapins ; tout commença à fourmiller, à s’agiter, à murmurer. Bien loin en avant de nous, les lumières d’un hameau scintillaient comme des vers luisants posés dans l’herbe, et, sur notre tête, la voûte immense était parsemée d’astres innombrables pareils aux feux de bivouac d’une grande armée. Le clair de lune, à travers les rameaux, y attachait comme des fils d’argent, et toutes les collines, tous les ravins, nageaient dans cette réverbération magique qui porte en nous à la fois tant de calme et de mélancolie.

Comme nous atteignions un petit bouquet de bouleaux, une fusée étincelante traversa le ciel et disparut dans l’immensité. Le garde-forêt fit le signe de la croix et s’arrêta court. « Trop tard, le malheur est arrivé, dit-il.

— Quel malheur ?

— N’avez-vous pas vu l’étoile filer ?

— Certainement.