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RÉCITS GALLICIENS.

précisément Jossel enfourche son cheval au milieu d’un immense concours de juifs. Le vieillard s’accroche à son pied.

« Non, il ne partira pas ; non, ce ne sera pas lui. Celui qui partira, c’est moi, monsieur le commandant. »

Tous s’étonnent, tous s’exclament. Comment, c’est Abe Nahum qui veut partir ! Est-ce qu’il serait devenu fou ?

Mais rien n’est plus sérieux. Il s’empare du cheval, il y monte, saisit la dépêche, embrasse son enfant, non sans fondre en pleurs. Il se met en route cependant. Et, comme tout le monde lui fait la conduite, il n’est pas un Hébreu qui ne l’ait vu quitter Tarnow et disparaître au grand trot dans le lointain de la chaussée impériale. Cette fois c’est au tour de Jossel à trembler pour lui. Il retourne au bailliage. Debout, la tête tournée contre le mur, il prie, et de grosses larmes tombent de ses yeux.

Les heures se succèdent, lentes et anxieuses.

Soudain des clameurs, un piétinement de chevaux, un fracas de roues se font entendre. Un flot de juifs en délire se précipite vers le bailliage, et au milieu d’eux l’œil distingue le pauvre petit Abe Nahum Wasserkrug juché sur son grand cheval, le visage rayonnant. Il mène à sa suite des paysans armés de faux, et les châtelains de Brzosteck avec leurs serviteurs couchés dans des chariots à quatre roues et traînés par des chevaux dont la misère a fait des haridelles. Quelques hommes sont légèrement blessés, mais tous sont vivants. Vingt bras soulèvent Abe Nahum Wasserkrug et le posent à terre. Il embrasse son fils ; son fils l’embrasse. Tous deux se mettent à sangloter, et tous les juifs, sans en excepter un, croyons-nous, mêlent des sanglots aux leurs.

On parvient, en rassemblant différentes versions, à faire