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À KOLOMEA.

Arrive l’année 1846, la révolution polonaise, puis la contre-révolution des paysans galliciens, qui, restés fidèles à l’empereur, tournent leurs terribles faux contre leurs compatriotes insurgés, pillent, incendient les châteaux et massacrent les nobles. Les baillis s’efforcent d’étouffer la rage des paysans, mais personne ne se hasarde en rase campagne, sauf toutefois les juifs, car la faux meurtrière s’abaisse à leur aspect. Aussi les autorités leur confient-elles les dépêches, en les chargeant d’aller partout porter l’ordre de mettre fin au massacre.

Mais voilà qu’un matin on reçoit la nouvelle que les paysans ont investi Brzosteck par un blocus en règle. Le chef militaire du district voudrait envoyer un messager de confiance, un juif naturellement, avec mission de sauver les deux châtelains. Qui peut mener à bien une pareille tentative ? Jossel seul. Il est choisi à l’unanimité ; il brûle déjà de partir ; son joli visage resplendit de courage et d’enthousiasme, tandis qu’Abe Nahum Wasserkrug se sent aux portes du tombeau. Pendant que son fils fait ses derniers préparatifs, il se traîne jusqu’à l’école, il implore le Très-Haut ; un combat s’engage au dedans de lui, son amour paternel et sa poltronnerie sont aux prises. Il jette à Dieu des cris désespérés, il supplie l’Éternel de lui faire entendre quelque voix céleste qui lui serve d’oracle et lui indique la route à suivre. Il écoute, dresse l’oreille, et tout à coup il entend ces versets que lit un des élèves de l’école : « Pharaon entra dans la mer avec son armée, avec ses cavaliers et ses chariots, et l’Éternel les engloutit tous dans les flots ; mais les enfants d’Israël, qui fuyaient à travers l’Océan, le passèrent à pied sec. »

Abe Nahum pousse un cri de victoire. C’est la voix céleste qui s’est fait entendre. Il court au bailliage où