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RÉCITS GALLICIENS.

L’homme devient livide ; ses dents claquent ; il tombe à genoux, pris d’un frisson mortel.

« Face contre terre ! » commande le spectre.

Il obéit. Jossel détache ses échasses, s’en sert pour le battre à tour de bras, puis, d’une voix creuse et sépulcrale, il lui jette ces mots : « Laisseras-tu maintenant mes pauvres juifs tranquilles ? Je suis le prophète Élie. M’as-tu compris ? »

Il disparaît, et le gouverneur, que ses meurtrissures mettent au lit pour cinq longs jours, se garde soigneusement depuis de causer le moindre ennui à un juif.

Une autre fois, Jossel n’hésita pas à tirer de l’eau, le jour du sabbat, un pauvre tailleur israélite, et lorsque Abe Nahum Wasserkrug, pour dissimuler ses angoisses, lui reprocha d’avoir désobéi à la loi divine, l’enfant lui prouva, l’Écriture en main, qu’il n’avait fait que son devoir, et appliqua à ceux qui exagèrent la piété jusqu’à refuser du secours à leur semblable en danger le jour du sabbat, les paroles d’Ézéchiel : « Parmi les lois que je leur ai laissées, beaucoup sont mauvaises. » Il cita en outre la sentence du prédicateur : « Ne pèche pas par excès de dévotion et ne cherche pas à être le plus sage. » Une autre fois encore, comme un riche comte polonais traversait en voiture les rues de Tarnow, son cocher, complètement ivre, se laisse tomber du siège. Le comte l’accable de malédictions. Aussitôt Jossel bondit jusqu’à la place restée vide et conduit si adroitement l’équipage qu’il retourne chez lui riche de deux ducats. Dès lors rien ni personne ne peut le retenir. Il se fait voiturier, transporte des colis, arpente le district dans tous les sens et reste souvent plusieurs jours sans rentrer. C’est dire que le pauvre Abe Nahum n’a plus une heure de tranquillité.