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RÉCITS GALLICIENS.

Un jour, Jossel le vit reculant avec effroi devant un bon plat tout chaud.

« Eh bien ! papa, qu’as-tu donc ? Pourquoi ne manges-tu pas ?

— Que veux-tu que je mange ? gémit-il, les mouches me prennent tout. Faut-il donc que je leur dispute ma part ?

— Mais, papa, est-ce qu’il est possible d’avoir peur d’une mouche ?

— Peur d’une mouche ? Je n’ai pas peur d’une mouche, puisqu’il y en a cinq. »

Son fils Jossel, au grand désespoir de son cœur paternel, était aussi téméraire qu’Abe Nahum Wasserkrug l’était peu. C’était le portrait de sa mère, qu’Abe Nahum d’ailleurs avait redoutée bien autrement que les mouches, que l’eau et les crapauds, plus même que les coups de canon.

II

Si, grâce à sa poltronnerie, Abe Nahum était devenu le favori des juifs de Tarnow, Jossel le devint à son tour, grâce à sa témérité. Au début, il les fit trembler, et tous lui prédirent les plus affreux malheurs ; mais peu à peu ils prirent en lui une confiance qui se tourna finalement en enthousiasme. Jossel n’avait pas quinze ans que tous les Israélites de Tarnow, tous, y compris les patriarches à barbe blanche, proclamèrent qu’il leur était né un défenseur, l’appelaient continuellement à leur secours, et, à la moindre alerte, se rassemblaient autour de lui comme autour d’un nouveau Samson. Cet état de choses,