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RÉCITS GALLICIENS.

seigneurial, l’oracle des paysans, à Brzosteck, il nageait presque dans l’opulence ; ici, dans le chef-lieu, il n’était qu’un misérable juif, ni plus ni moins, mais son Jossel pourrait s’y instruire ; c’était bien ainsi. Si on le regardait en pitié ou en mépris : « Attendez, pensait-il, quand mon Jossel sera un reb, un grand talmudiste ou un rabbin, vous ne me verrez plus du même œil. » Son unique joie était, le service divin terminé, d’écouter dans la synagogue les étudiants débattre entre eux des thèses judaïques. Il suivait de loin leurs discussions. — Jossel leur donnera bientôt la réplique, murmurait-il en aparté.

Toute la journée, son cerveau s’épuisait à la recherche des moyens d’agrandir son commerce. Il passait la moitié de ses nuits à supputer de petits bénéfices, que le plus Polonais de ses coreligionnaires eût repoussés dédaigneusement du pied. Mais l’échine voûtée de ce petit homme sec, ses joues creuses et parcheminées, ses yeux clignotants, cachaient un vrai philosophe dont le système était, à un cheveu près, celui de Schopenhauer.

Il s’en tenait à la devise du Tractat-Nedorim[1], où les noms des trois fils d’Israël, Mischna, Demosch et Massa, ont servi à composer cette sage sentence : écouter, se taire et savoir souffrir. Cependant il était écrit qu’il ne resterait pas longtemps dans son obscurité et sa bassesse. Une particularité, sur laquelle il n’aurait certes jamais songé à établir sa fortune, le rendit peu à peu cher aux juifs de Tarnow, lui attira une quasi-célébrité, et aida si largement à lui conquérir la faveur de la haute société que son commerce s’en ressentit, et qu’il fut bientôt en état de s’offrir une chambre tout entière.

  1. Contenu dans le Talmud.