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RÉCITS GALLICIENS.

sept enfants. Quand l’addition était finie, il la recommençait. Tout à coup, sa femme, du haut de son pyramidal lit de plumes, où elle trônait comme au sommet d’une autre Babel, poussa ce cri : « Homme ! que fais-tu ? Je crois, Dieu me pardonne, que tu comptes les enfants. Veux-tu donc appeler la mort sur eux ? »

Abe Nahum Wasserkrug pâlit, s’épongea le front et balbutia : « C’est tout ça qui m’a fait perdre la tête. C’est vrai, j’ai compté les enfants ! »

Une semaine s’était passée, peut-être un peu plus, lorsque le vieux Sentschum, qui était chargé d’aller prendre à la poste de Pilsno les journaux et les lettres, rentra un soir, bouleversé jusque dans les profondeurs de sa moustache blanche, dans la salle à manger du château, où ses maîtres jouaient tranquillement aux dominos : « Maître, c’était bien l’ange de la peste. La révolution a éclaté le 29 à Varsovie. »

Le châtelain dans sa robe de chambre orientale, et sa femme dans sa kasabaïka fourrée, restèrent muets et devinrent livides à cette nouvelle. Leurs gens s’étaient groupés pour en causer, et les paysans attablés dans la kartchma entrecoupaient de longs soupirs leurs rasades d’eau-de-vie. Et, plus que le châtelain, plus que les domestiques, plus que les paysans, pâlissait et soupirait Abe Nahum Wasserkrug. Cette fois pourtant il fit appel à tout son sang-froid et ne compta pas ses enfants ; mais jamais il n’avait répété avec autant de ferveur que pendant ce moment-là les dernières paroles du Schemona-Esreh : « Loué soit Dieu qui fait de la paix la meilleure des bénédictions ! »

La guerre suivit la révolution ; le choléra suivit la guerre. La première agita puissamment la Gallicie. Tous ceux qui pouvaient porter des armes volèrent au secours