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À KOLOMEA.

maître, enveloppé dans sa robe de chambre orientale, s’efforçait vainement de les tranquilliser. « C’est la lune qui se lève ; c’est quelque météore, tout au plus, disait-il avec le sourire sceptique d’un homme qui n’a jamais sacrifié qu’à la raison.

— C’est ce que vous voudrez, répliquait le vieux cocher, qui avait autrefois combattu sous Kosciuszko ; mais vous verrez, mon bon seigneur, ça nous amènera la guerre. »

Le châtelain cherchait inutilement à rassurer sa jeune femme, qui de son côté s’était glissée précipitamment dans une kasabaïka fourrée et se cramponnait à son bras, toute frissonnante.

« Certes je ne suis pas superstitieuse, disait-elle, mais mon père m’a raconté que de pareils signes ont précédé les guerres de 1809 à 1812. Le sang va couler, mon bien-aimé ; il suffit de lire les journaux pour deviner que le royaume est menacé d’une révolution.

Cependant le plus effrayé de tout le village, c’était incontestablement Abe Nahum Wasserkrug, le propriétaire de la kartchma[1] de Brzosleck, qui, avec l’imagination particulière à la race juive, croyait voir se dresser une douzaine de gourdins, pour peu que quelqu’un fît mine d’en vouloir à son dos, courbé avant l’âge par les inquiétudes ou les tourments de la vie, et qui, frôlé un jour par un matou, s’était jeté précipitamment dans un buisson pour éviter sa course furibonde, qui lui avait paru celle d’un tigre. L’anxiété affectait chez lui un caractère spécial. Il murmurait continuellement ces mots : « Voilà la guerre ! voilà la famine ! voilà la peste ! » Il allait et venait, puis se mettait à compter ses

  1. Auberge.