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UN JOUR ET UNE NUIT DANS LA STEPPE.

ses yeux et regarda de tous côtés pour voir s’il ne venait personne.

» Le soleil était couché. Il se faisait tard. Soudain, elle sortit de nouveau. Elle s’était parée de la tête aux pieds, comme pour se rendre à l’église ou à la foire annuelle. Elle portait des bottes rouges, un jupon éclatant, et, par-dessus sa chemise brodée, toute fraîche et aussi blanche que la neige, sa pelisse neuve, de drap bleu, garnie d’une toison d’agneau blanc. Autour du cou, elle avait bien dix rangs de gros coraux entremêlés de sequins étincelants. Sa tête était prise dans un foulard rouge. C’était une belle femme, monsieur ! Elle me parut plus belle et plus majestueuse que jamais !

» Que va-t-elle faire ? me demandai-je.

— Donne-moi la corde, me dit-elle tout bas.

— Je l’ai prise pour étendre du linge, répliquai-je.

— Mets le linge par terre, jette-le n’importe où, continua-t-elle. Apporte-moi cette corde ! »

» Je la lui remis. Elle se faufila dans la cabane, sans bruit, et plus habilement qu’un chat.

» Que veut-elle bien faire de cette corde ? me disais-je. Je m’approchai à pas furtifs de la fenêtre, et je plongeai à l’intérieur. Ils ne pouvaient m’apercevoir, parce que dehors tout était obscur ; mais moi je vis très-bien ce qui se passait dans la chambre, car Eva Kwirinowa avait allumé une bougie qu’elle posa sur la table. J’entendis aussi distinctement leurs paroles, la fenêtre ayant un carreau brisé et raccommodé avec du papier.

» M. Dolgopolski sommeillait, couché sur le banc du poêle. Lorsque le jet de lumière tomba sur lui, je vis qu’elle s’était servie de la corde pour le garrotter. Elle lui avait lié les mains et les pieds, et l’avait attaché solidement au banc par le milieu du corps.