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À KOLOMEA.

balle avec les nuages, les dispersant çà et là, déchiquetant leurs voiles sinistres et traînant leurs lambeaux dans les hautes herbes.

Des oiseaux de passage volaient rapidement parmi les foins, ou sautillaient dans les broussailles, se perchant sur les branches mortes, sans pousser un cri, sans animer la solitude. Plus haut, dans le firmament sombre, dont on apercevait la teinte uniforme dans l’intervalle des nuages, bourdonnaient de nombreux essaims d’oies sauvages, de cigognes et de grues émigrant vers la bouche du Dnieper ou du Danube.

L’ombre tomba rapidement. Le calme, le silence de la steppe avaient maintenant quelque chose de solennel. Un frisson d’extase s’empara de nous.

Les étoiles s’allumèrent l’une après l’autre. Il y en eut bientôt un si grand nombre, que je crus n’en avoir jamais remarqué autant. Elles rayonnaient sous la voûte noire et paraissaient se rapprocher. Quelques-unes d’entre elles flamboyaient à l’horizon comme d’immenses cierges allumés en l’honneur d’une fête nocturne. La voie lactée s’étendait, pareille à un large pont étincelant jetée entre la terre et des monceaux de nuages.

Au moment où les chevaux qui traînaient ma petite carriole s’engageaient dans les ondes vertes de la prairie, une lueur éclata à l’horizon, un astre énorme qui grandit, s’allongea, se transforma en un jet de flamme, puis en une immense colonne de feu, d’un rouge ardent.

Mon cocher s’arrêta, regarda dans le lointain et hocha la tête en disant : « Que je sois le fils d’une chienne si ce n’est pas la métairie d’Éva Kwirinowa qui est en train de brûler à cette heure !

— Allons-y donc.