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À KOLOMEA.

chaude. Tout à coup un éclair déchira la nue, le tonnerre gronda, et un torrent de pluie s’abattit sur la steppe, fouettant l’herbe impitoyablement. La prairie se changea en un lac. Du gazon semblaient jaillir des flocons d’écume. Où que l’on regardât, on ne voyait qu’une nappe d’eau fortement agitée, d’où sortait la petite chaumière, vraie arche de Noé, soulevée par les flots du déluge.

Les coups de tonnerre se succédaient rapidement. Ils étaient parfois si forts que la terre paraissait se fendre, ébranlée jusque dans les fondements.

Puis un ouragan s’éleva, aussi indomptable, aussi échevelé que l’orage qui s’éloignait. Il dispersa les nuages sombres ; il sécha les larges flaques d’eau qui couvraient le sol. Les éléments reprirent leur tranquillité avec la même rapidité qu’ils avaient mise à se déchaîner.

La pluie avait cessé. Le temps s’éclaircit. La steppe verte resplendit, rajeunie et rafraîchie. Un arc-en-ciel tendit sa courbe lumineuse dans le ciel.

Les bergers s’éloignèrent. Ils chassèrent de l’écurie leurs chevaux qui les emportèrent au galop. Éva était sortie avec eux. Elle les raillait, les yeux étincelants, le rire aux lèvres. Soudain, et comme en proie à une fantaisie diabolique, elle saisit par sa crinière d’ébène un des chevaux, et se hissa sur son dos sans selle ni bride.

« Holà ! gamins, criait-elle, celui qui m’attrapera et me fera prisonnière aura le droit de m’embrasser ! »

Et elle lança son coursier dans la steppe. Les bergers la suivirent, poussant des clameurs sauvages. Akensy, tout pâle, les yeux hagards, eut bientôt devancé ses camarades. Vainement Éva fit rebrousser chemin à son cheval ; vainement elle le fit tournoyer en cercles pres-