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UN JOUR ET UNE NUIT DANS LA STEPPE.

À l’horizon, on n’aperçoit plus que des champs, au-dessus desquels est tendu le ciel, moucheté de petits nuages. On ne remarque nulle part le filet d’argent d’une source.

La steppe bleuit comme la mer. Comme la mer, elle s’évanouit dans le lointain, baignée d’une lumière frissonnante. Et ce n’est pas seulement la terre qui paraît s’étendre à nos regards ; le ciel aussi prend à nos yeux des proportions infinies.

L’homme se sent aussi léger que l’oiseau qui traverse l’air azuré.

La plaine se déplie devant lui, vide comme la voûte céleste. Rien ne lui rappelle l’existence de ses semblables. Il ne s’y trouve pas de villes, pas de tours, pas de hameaux, pas de maisons ; on n’y remarque même pas de ces chenils croulants, aux parois d’osiers tressés, aux toits de paille ; on n’y rencontre pas d’hommes, aucune trace de pas, aucune empreinte de char.

Ici, la nature a quelque chose de barbare comme une forêt vierge, avec la différence que cette dernière est le réceptacle de l’ombre, du mystère, d’êtres qui sont nos ennemis, tandis que dans la steppe, la créature se sent inondée de rayons de lumière et de vie. Comme la steppe, la forêt vierge est calme et sans limites ; on y jouit d’une solitude parfaite ; seulement, cette tranquillité représente la fin d’une existence, la mort, le néant. La solitude de la steppe, elle éveille l’idée de ce qu’était le paradis avant l’apparition de l’homme. On croit contempler, en la regardant, le matin riant de la création.

L’œil ne rencontre pas de limites. Il voit aussi loin qu’il peut embrasser.

Je tuai deux outardes et un vautour. Puis j’arrêtai la