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PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

étaient devenus horriblement vieux. Maintenant, leurs jambes ne pouvaient même plus les porter dans les nobles maisons dont ils avaient été les hôtes préférés. Cela encore aurait été facile à supporter, mais le terrible, dans tout ceci, c’est qu’ils n’avaient même plus la force de traverser la rue pour aller l’un chez l’autre. Un jour vint où ils ne purent se voir que de leurs croisées. Ils se faisaient des signes, mais ne devaient pas songer à discuter ensemble ; pour le coup la situation devenait insoutenable.

C’est ce qui les décida à entrer à l’hôpital, où ils partagèrent une petite chambre, bien propre, avec de bons lits, d’excellents fauteuils et une nourriture délicieuse. Et ils restaient assis tout le jour, ensemble, près de la fenêtre garnie de pots de fleurs, par laquelle le soleil brillait joyeusement, et ils discutaient, entourés de tous les pensionnaires et malades de l’hôpital, qui les écoutaient avec autant de joie que jadis les nobles qui les invitaient à dîner.

D’autres années s’écoulèrent.

Il y avait juste cinq jours que Mintschew avait célébré son quatre-vingt-dixième anniversaire, lorsqu’un soir tout à coup, il se sentit faible, si faible qu’il se mit au lit. Pintschew s’assit auprès de lui, et, naturellement, les deux amis commencèrent à se disputer.

Leur chambre se remplit de curieux, qui s’appuyèrent à la muraille, s’assirent par terre et gardèrent tous le plus religieux silence.

Pintschew et Mintschew se disputèrent longtemps.

Le premier prétendait qu’il est permis de tromper un gojun[1], ce que Mintschew niait avec tout le sang-froid et l’énergie qui le caractérisaient.

  1. Païen.