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À KOLOMEA.

Lorsque, par hasard, ils avouaient leur dénûment à un voisin, des secours leur venaient de toutes parts. On ne voit jamais un juif mourir de faim, comme aussi on n’en verra jamais aucun réduit à mendier. Lorsque, pendant les débats auxquels donna lieu la judonbill[1] dans la Chambre haute, un des pairs posa au chef de l’Église anglicane, l’archevêque de Canterbury, cette question : « Est-il vrai que la morale des juifs diffère beaucoup de la vôtre ? » celui-ci répliqua : « Les juifs ont la même morale que nous ; seulement ils la pratiquent, et nous ne la pratiquons pas. »

Cette parole s’applique surtout aux juifs polonais.

Chez eux, le principe de l’amour du prochain existe plus que dans n’importe quelle Église. C’est comme cela que Pintschew et Mintschew trouvèrent partout des secours illimités ; on ne leur laissa pas sentir qu’on leur faisait l’aumône ; on leur envoyait ce dont ils avaient besoin, d’une façon aimable, discrète, cordiale, et sans beaucoup de paroles.

On les invitait aussi souvent à dîner dans les grandes maisons de l’aristocratie juive, car ils ne pouvaient pas rester assis à table l’un vis-à-vis de l’autre sans commencer quelque discussion talmudique, et les aristocrates israélites estiment l’esprit et la science plus que tout au monde, et préfèrent de beaucoup assister à l’explication de quelque passage compliqué du Talmud que d’entendre une chanteuse décolletée roucouler une ariette, ou un comique effronté débiter une chanson obscène.

C’est de cette manière que se passèrent de nouvelles années. Tout en se disputant, Pintschew et Mintschew

  1. Proposition de loi.