Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

sonne ; puis, un jour, il partit pour Vienne et ne donna plus jamais de ses nouvelles.

Pintschew et Mintschew s’en inquiétèrent peu. Ils ne remarquèrent pas non plus qu’ils s’appauvrissaient de jour en jour. Ils possédaient leur Talmud ; avaient-ils besoin d’autre chose ? Plus ils vieillissaient, plus leurs discussions devenaient amères.

Tous deux blanchissaient à vue d’œil, Mintschew aussi rapidement que Pintschew. Ce dernier avait renoncé depuis longtemps à la volupté de couper du velours de soie et de faire glisser son aiguille dans les bandes satinées de la martre zibeline. Il ne raccommodait plus çà et là que quelques hardes, et, lorsqu’il lui arrivait de travailler à quelque chose de neuf, les pratiques qui se paraient de ses chefs-d’œuvre maniaient ordinairement le balai, trayaient les vaches et remplissaient l’air d’un violent parfum d’ail.

Mintschew, lui, possédait du moins encore un cheval. C’était, il est vrai, un petit animal bien misérable, qui, dès qu’on ne le fouettait pas pour le faire avancer, baissait la tête et s’endormait. Mais, enfin, c’était un cheval.

Un jour, il arriva que Mintschew, qui conduisait à la ville un propriétaire juif du Kukuruz, s’arrêta devant la chaumière en ruines où se trouvaient la demeure de Pintschew et son salon de modes, entre un débit d’eau-de-vie et un réduit de chiffonnier, dans l’aimable intention d’étudier avec son ami le tailleur une question importante. Il descendit de voiture et salua Pintschew, qui ne lui rendit pas son salut. Pintschew était assis sur une table basse et contemplait philosophiquement un trou qui étoilait la jaquette grossière de la femme de quelque soldat. Son extérieur avait bien changé. Ses bras, ses jambes semblaient s’être allongés ; sa chevelure