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À KOLOMEA.

tous deux continuèrent leurs métiers comme auparavant ; mais de quelle manière ! Ils se mirent à négliger leurs affaires, leurs clients, leurs femmes, leur personne ; oui, tout, hormis le Talmud. Ils étaient entrés dans le labyrinthe comme les quatre hommes dont parle la Thora, et dont un seul, Rabbi Akiba, parvint heureusement à en sortir.

Ils discutaient partout, à toute heure, et avec un zèle que rien n’arrêtait et qu’on ne pouvait modérer. Au commencement, leurs femmes les admirèrent, puis elles les prirent en pitié, et enfin les assaillirent de reproches. Tout fut en vain. Quand Rachel, au désespoir, se mettait à pleurer, Pintschew se glissait dehors par la petite porte de derrière et courait comme un cheval des steppes poursuivi par des loups, au village où demeurait Mintschew. Et lorsque Esterka, à bout de patience, campait brusquement ses bras potelés sur les hanches, et commençait, son beau visage tout enflammé par la colère, à réprimander son mari, celui-ci quittait bruyamment la chambre, montait à cheval et galopait vers la ville où Pintschew avait ouvert boutique, un magasin avec une belle enseigne aux couleurs criardes.

Lorsque Mintschew conduisait en ville quelque voyageur qui descendait à l’hôtel de l’Aigle blanc, il ne se donnait plus la peine de dételer : il remettait sa voiture et ses chevaux au strusch[1], et il courait chez Pintschew qu’il trouvait habituellement établi sur un banc de pierre devant la maison, travaillant à un costume, et que sa vue transportait de joie au point de lui en faire perdre la respiration.

Quand le voyageur, ses affaires terminées, voulait se

  1. Garçon d’écurie.