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À KOLOMEA.

craignait l’eau-de-vie, mais il craignait encore bien plus Esterka, la fille du tavernier, qui, aussitôt qu’elle entendait le roulement d’une voiture, le cri d’un cocher ou le hennissement d’un cheval, accourait gaie et alerte avec ses nattes sombres fouettant ses épaules, sur le seuil de l’auberge, pour y servir, suivant le rang des voyageurs, de l’eau-de-vie dans de petits verres à pied ou des brocs en étain. Elle babillait avec les étrangers aussi familièrement qu’avec d’anciennes connaissances, et devisait avec les paysans aux sieraks[1] raccommodés et malpropres, avec les ouvriers aux chapeaux de castor hérissé, aussi gaiement qu’avec les officiers de hussards sur leurs splendides coursiers ou avec les seigneurs passant dans leurs équipages à quatre chevaux.

Esterka était une fort jolie fille ; elle était, de plus, active et intelligente, comme le sont très-rarement les femmes juives. Son visage aimable, légèrement effronté, n’était pas le moins du monde fané par cet air épais et poussiéreux de la taverne qui flétrit si vite les roses polonaises de Saaro. De taille, elle n’était ni trop grande ni trop petite ; ses formes sveltes s’accordaient à ravir avec ses mouvements vifs.

Mintschew l’évitait volontiers. Lorsqu’il s’arrêtait devant l’auberge, il restait sur son siège et regardait avec affectation dans le lointain. Si, par hasard, il était obligé d’entrer dans la taverne, il répondait aux paroles aimables que lui adressait la jolie fille par un simple hochement de tête, il attachait au cou de ses chevaux leur sac d’avoine, feignait de réparer les roues ou le timon de sa voiture, ou même s’en allait derrière la maison examiner les champs et le jardin de Blauweisz.

  1. Pardessus avec capuchon et brandebourgs.