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L’OURS AMOUREUX.

pas un qui osât résister à la belle et robuste femme, ou lui adresser quelque parole grossière.

Anastasie plaça le bras de son époux sous le sien, et l’entraîna tout chancelant vers la porte.

Ses camarades le suivirent, braillant à tue-tête :

Je ne rentrerai pas, je ne rentrerai pas,
Car le gourdin m’attend à la maison.

Arrivés devant la maison couverte de chaume et entourée d’une clôture basse, où demeurait Anastasie, les amis fortement allumés de Korsuk s’éloignèrent paresseusement, après lui avoir fait des adieux assaisonnés de grossières plaisanteries. Ils n’eurent pas plus tôt tourné l’angle de la route, que des aboiements sonores et la voix d’Anastasie les rappelèrent devant la cabane.

— Un ours ! un ours ! criait Korsuk, vivement ému.

En effet, un grand ours brun venait de se dresser derrière la clôture, poussant des grondements rauques.

Lejeune chien blanc, qu’on lâchait habituellement pendant la nuit, alla se blottir aux pieds d’Anastasie, avec des hurlements plaintifs. Les paysans, plus épouvantés que des moutons à l’approche d’un loup, se pressèrent les uns contre les autres.

L’ours ayant fait mine de franchir la haie, nos héros se précipitèrent tous, pêle-mêle, dans la chaumière, montèrent au grenier, et renversèrent l’échelle qui y conduisait. Le chien, effrayé, se réfugia en rampant sous l’âtre.

Anastasie resta seule. La courageuse femme ne perdit pas la tête un seul instant. Elle entra, ferma vivement la porte, courut dans sa chambre, saisit une perche et se plaça devant le berceau de son enfant, bien décidée