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L’OURS AMOUREUX.

premier enfant, et s’adonnait un peu à la boisson. Il perdait le peu que rapportaient ses terres, qu’il ne se donnait plus la peine de cultiver. Si sa femme s’avisait de lui adresser quelque reproche, il la menaçait de son bâton. Il l’aurait déjà souvent frappée jusqu’au sang, s’il n’eût été intimidé par sa fermeté et son courage.

Notre galant curé conseilla à la jolie femme de ne pas prendre la conduite de son mari trop à cœur.

« Je lui parlerai, dit-il. Je ferai appel à sa bonté, à sa conscience, mais je vous en avertis, mes discours n’obtiendront pas grand résultat. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est de rire de ses bévues, et non de ternir vos beaux yeux par vos larmes. Car vous avez de très-beaux yeux, Anastasie, des yeux superbes. »

La jeune femme, rougissante, baissa ses paupières.

« Il y a dans le monde d’autres hommes, et des hommes meilleurs, continua l’aimable prêtre ; des hommes capables d’apprécier une ravissante femme comme vous, et de la réjouir au moyen de mille petites douceurs, au lieu de ne lui causer que des ennuis. À votre place, Anastasie, je prendrais pour amant quelque beau garçon du village, ou, si vous êtes ambitieuse, un homme de qualité. Il y a de grands seigneurs qui seraient fiers de vous posséder, Anastasie.

— Mais la religion ne nous le défend-elle pas ? objecta timidement la paysanne.

— Je sais mieux que vous ce qui en est, repartit le curé.

— Je… je voudrais vous prier… balbutia Anastasie, fort embarrassée, lissant de sa main la fourrure de sa subkane, je serais bien reconnaissante si Votre Honneur, monsieur notre bienfaiteur, voulait faire à mon mari quelques sérieuses remontrances.