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À KOLOMEA.

Ils marchaient sans parler. Ils longèrent les chaumières où l’on voyait vaciller de faibles lumières ou de petits feux clairs, et se dirigèrent vers la maison de Tatiana. Arrivés devant la porte, elle l’ouvrit et entra la première. Il la suivit. Dans la chambre, il ôta sa casquette et s’agenouilla devant les saintes images, puis il s’étendit le visage contre terre, et embrassa passionnément le sol natal. Elle s’agenouilla à côté de lui, et ils prièrent longtemps ensemble. Lorsqu’enfin il se leva, elle s’empressa de le débarrasser de sa casquette, de son bâton et de sa capote déchirée.

Ugari se tenait au milieu de la chambre, dans son uniforme russe, d’un vert foncé. Il joignait les mains avec extase. Il regarda la table avec ses deux couverts, et sourit. Elle, vaquait aux soins du ménage avec un joyeux empressement. Elle plaça sur la nappe une soupière fumante et une cruche d’eau-de-vie, elle y ajouta du pain et du sel, s’assit avec lui, et commença à manger.

Au bout d’un instant, elle éloigna doucement son potage, croisa les bras, qu’elle appuya doucement sur le bord de la table et regarda Ugari se rassasier avec un bon et chaud sourire. Elle lui servit de l’eau-de-vie plus pure que l’atmosphère d’un jour de printemps, elle effleura de ses lèvres le verre et le lui tendit.

« À ta santé, » dit-il en se levant et en vidant la coupe, dont il lança gaiement les dernières gouttes au plafond, il se rassit et commença à narrer ses aventures.

Il lui raconta comment, en 1812, il avait été conduit à Kiew et installé sur une flotte. Il lui parla de la vie en mer, de cet Océan bleu, sans bornes, en y mettant toute la poésie dont les Cosaques colorent leurs légendes. Lorsque sa patrie rentra sous la domination de l’Autriche,