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PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

ils se disputaient en retournant chez eux le soir ; ils oubliaient de manger pour se disputer. Un troisième interlocuteur survenait-il et prenait-il parti pour l’un ou pour l’autre, Pintschew et Mintschew tombaient d’accord pour le rosser d’importance. Une fois, dans le talmud-thore[1], ils se disputèrent plus sérieusement encore. À peine eurent-ils commencé à étudier les premières lignes du Talmud, que déjà chacun avait la prétention de l’interpréter mieux que l’autre. Ils ne se lassaient pas d’en approfondir et d’en discuter les questions les plus compliquées, mais ils ne toléraient pas l’intervention d’un tiers dans leurs discussions, et si un élève se permettait de faire des objections à ce que l’un ou l’autre affirmait, Pintschew et Mintschew se mettaient tous les deux après lui, anéantissaient ses raisonnements et le criblaient de quolibets si injurieux, qu’il vidait la place, tout ahuri, semblable à un âne couronné de chardons et d’orties aiguës.

Ni l’un ni l’autre des deux amis ne devint savant. Ils étaient trop pauvres pour se vouer à l’étude du Talmud, et l’étude d’une autre branche ne leur souriait guère.

Le père Pintschew était tailleur. Son fils lui succéda dans son emploi. Le vieux Pintschew ne travaillait que pour de grandes dames, pour des nobles, des femmes d’officiers ou de fonctionnaires supérieurs, quelquefois, aussi pour de riches juives. Il avait le plus profond mépris pour les cotonnades et les étoffes de laine. Il n’était vraiment heureux que lorsqu’il faisait manœuvrer ses longs ciseaux dans du velours soyeux, quand des fleuves de satin laissaient bruire leurs vagues autour de lui, ou lors-

  1. École talmudique pour les enfants pauvres.