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IL REVIENDRA.

Un soir, un vieillard arriva, marchant péniblement sur la chaussée. Il venait de Russie. Il portait un uniforme défraîchi ; il avait sur son dos une besace, à la main un bâton. Lorsqu’il vit Tatiana assise au pied de la croix, il s’arrêta court, et fixa sur elle son regard éteint, sans parler.

Elle se leva, et s’écria : « Ugari !

— Tatiana ! » répondit-il, en sortant sa main hâlée de la manche en lambeaux de son vieux manteau militaire. Elle saisit cette main, qui trembla doucement dans la sienne. Il regarda longuement avec attendrissement dans ses grands yeux sincères. Il ne vit ni les fils d’argent qui sillonnaient la chevelure de la vieille femme, ni les rides profondes qui se croisaient sur son visage. Elle lui parut plus jolie encore que dans sa jeunesse.

« Dieu soit béni ! Te voilà enfin, dit-elle à demi-voix.

— Tu m’attendais, reprit-il.

— Oui, chaque soir.

— Depuis si longtemps !

— Je savais que tu reviendrais, dit-elle simplement. »

Il respira profondément.

« Ma mère vit-elle encore, demanda-t-il d’un ton ému ? »

Elle secoua doucement la tête.

« Il ne reste plus un seul membre de ma famille ?

— Tous sont morts. Paix à leurs cendres.

— Amen. »

Ils se signèrent. Puis ils prirent la route du village.