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À KOLOMEA.

un bruit de cloches ; parfois la neige tourbillonne autour de la pauvre femme et l’enveloppe d’un humide manteau. Tatiana ne s’émeut pas. Elle reste à sa place, pensive sereine ; l’espoir au front, elle attend, elle patiente. L’obscurité tombe, les astres paraissent l’un après l’autre, et la clarté argentée de la lune ruisselle sur les arbres et les taillis.

Si un passant, étonné de voir une femme occupée sur le chemin à une heure aussi tardive, l’interpelle et lui demande : « Que faites-vous ici ? Attendez-vous quelqu’un ? » elle répond : « J’attends mon fiancé. » De même si un vieillard qui la reconnaît s’arrête près d’elle et murmure en secouant la tête :

« Eh bien ! attends-tu toujours Ugari ? » Un fin sourire entr’ouvre ses lèvres, et elle dit :

« — Certes, je l’attends. Il reviendra. »

Chaque jour, avant de se rendre à son poste, elle balaye sa chambre et orne ses fenêtres de fleurs. S’il fait froid, elle allume un bon feu dans son grand poêle gris ; vrai palais, ce poêle, résidence princière d’une masse innombrable de souris, de couleuvres et de grillons. Elle met sur la table deux couverts, sa nappe la plus fine, et ses plus belles assiettes de porcelaine blanche, semées de roses rouges et de myosotis. Elle place sa lampe bleue sous les images des saints qui tapissent la muraille. À son retour, elle s’assied à table, elle mange, elle songe. Et alors elle ne sent plus son isolement, elle rêve, elle croit entendre le sable de l’avenue crier sous un pas connu, elle croit sentir une main chérie s’appuyer sur son épaule, une haleine tiède effleurer son visage, tandis qu’une voix douce murmure à son oreille des paroles d’espérance et de consolation.