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IL REVIENDRA.

— Un marché ? le père dressa ses oreilles, sa femme se rapprocha de la table. Tatiana, furieuse, tira son fil, qui se cassa.

— Oui, continua le staroste. On nous a affirmé que vous avez une génisse à vendre.

— Tu as entendu, Tatiana, dit le père d’une voix grave, en se tournant vers l’angle dans lequel la fillette s’était blottie, toute tremblante. Est-ce que c’est vrai, ça, que nous avons une génisse à vendre ?

— Non, cher père, répondit Tatiana, qui s’était levée en baissant les yeux. Les gens se plaisent à inventer toute espèce d’histoires. Nous n’avons pas de génisse à vendre. »

Les starostes se regardèrent, et crachèrent par terre. Ils avaient essuyé un refus dans toute l’acception du mot. Une seule chose les consola, c’est que Hnatek les attendait dehors, avec sa gourde pleine.

« Hnatek est un brave garçon, dit le père, lorsque les starostes eurent quitté la chaumière. Quant à ton Ugari, Dieu seul connaît la place où son cadavre a été déchiqueté par les corbeaux.

— Il reviendra, » répondit Tatiana. Elle n’ajouta rien de plus.

Et tous les soirs elle se rend vers le crucifix. Les soirées s’écoulent, et les années. Ses joues pâlissent, son œil s’éteint. Elle attend toujours. Son père meurt, elle enterre sa mère ; elle voit partir tous ceux de sa famille. Elle reste seule, dans sa chaumière, elle cultive le petit bien dont elle a hérité. De temps en temps un prétendant se présente. Elle l’écoute et sourit. Elle attend Ugari. Il reviendra : elle en est sûre.