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À KOLOMEA.

courut à leur rencontre, les embrassa, et les assaillit de questions. Un tel était tombé à Borodino, un autre à Champaubert, un troisième et un quatrième avaient été faits prisonniers, et on n’en avait plus entendu parler.

— Et Ugari, demanda Tatiana, qui jusqu’alors s’était tenue à distance, pâle, et comme égarée. Est-ce qu’il est mort ?

— Non.

— Prisonnier ?

— Nous ne le croyons pas.

— Où est-il, alors ?

Nul ne le savait. L’un d’eux pourtant se rappela l’avoir vu à Kiew. On les avait séparés, enrôlés dans deux régiments différents.

— Eh bien ! il reviendra, dit Tatiana soudain rassurée. Soumise, sans verser une larme, elle rentra dans sa maison. Chaque soir, elle se rendait vers la croix de bois, et attendait Ugari. « Il reviendra, » disait-elle. Mais il ne revenait pas. L’hiver arriva. On n’en avait toujours pas de nouvelles. Un an s’écoula ; un second lui succéda, et il n’était pas encore de retour.

C’est à cette époque que le seigneur perdit sa femme. Sa galanterie se réveilla avec sa liberté. Non pas qu’il eût été jusque-là, absolument subjugué par les charmes de son épouse, au contraire. Mais la défunte, qui avait été le tyran du village, une petite Polonaise de race, frétillante, jalouse et qui aurait poussé le despotisme jusqu’à couper les ailes à l’amour lui-même, imposait terriblement à son mari qui, lui, poussait la passion de la tranquillité jusqu’à l’extrême. Il n’avait pas porté son deuil pendant six mois, qu’il commença à caresser Tatiana plus souvent et plus tendrement que jamais. Et plus elle réussissait à s’en débarrasser en s’échappant par un trou