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IL REVIENDRA.

un petit sachet de terre que j’ai recueillie au seuil de la maison de mon père. »

Ils se tendirent la main une dernière fois en baissant la tête, puis se séparèrent. Elle se dirigea lentement vers le village. Lui, partit pour la guerre. Le tambour rendait un son voilé et pleurard, et les cloches du hameau sonnaient à toute volée, gravement.

Dans ce village perdu de la petite Russie, on entendit peu parler du drame, de la nouvelle Iliade qui se déroulait dans les steppes et les plaines glacées de la grande Russie. Aucun journal ne pénétrait dans le village. Et, y eût-il pénétré, il ne se fût trouvé personne pour le déchiffrer. Un jour le baron, tout rayonnant, raconta à table qu’un grand combat avait été livré près de Moskowa, que Napoléon était resté maître du champ de bataille et les Russes mis en pleine déroute. Puis, plus tard, au milieu de la nuit, le pasteur petit-russien éveilla sa femme, ses enfants, ses domestiques, et même le chantre du village, et leur dit : « Rendez grâces à Dieu. Les Russes ont incendié Moscou. Napoléon est forcé à la retraite. »

Ces nouvelles couraient de bouche en bouche. Des hussards autrichiens parcouraient la contrée. Le peuple les reçut et les hébergea avec enthousiasme. Un officier raconta le passage de la Bérésina, la défaite de la grande armée. De nouvelles années s’écoulèrent. Il y eut Leipzig, Laon, Waterloo.

Napoléon fut envoyé à Sainte-Hélène. Le congrès de Vienne brocanta les pays et les peuples. La paix rendit à l’Autriche les districts galiciens qu’elle avait perdus en 1809. Les citoyens qui avaient combattu sous le drapeau russe revinrent dans leurs foyers. Un jour ce fut le tour de ceux du village où demeurait Tatiana ; tout le monde