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IL REVIENDRA.

Dans le but de rassembler leurs propres récoltes, les paysans se réunissaient, et employaient les nuits claires de l’été à recueillir leurs grains en commun. Ils se prêtaient mutuellement leur temps et leurs forces. Les champs étaient fauchés l’un après l’autre, et les blés serrés dans chaque grenier, jusqu’à ce que chacun fût rassuré sur ses récoltes.

C’est pendant une de ces moissons que Tatiana, qui liait une gerbe en chantant un gai refrain cosaque, sentit tout à coup derrière elle deux bras l’assister dans sa besogne. Elle tourna la tête et plongea ses regards dans deux grands yeux bleus, limpides et doux. Ugari la contemplait en silence. La lune couronnait la svelte et jolie fille d’une auréole argentée. Les mains des jeunes gens se rencontrèrent. Une sensation étrange les mit mal à l’aise. Tatiana commença à rire, pour cacher son trouble, mais une chaleur inconnue lui monta au cerveau, et elle se sentit envahie par une profonde tristesse.

Le hasard fit qu’ils se virent dès lors tous les jours près du puits, un vieux puits dont la charpente semblait étendre ses bras maigres et noirs à leur rencontre. Lorsque l’heure d’aller à l’eau approchait, on voyait Tatiana venir en sautillant, comme une bergeronnette, ses beaux bras passés entre de longues perches qu’elle portait en les balançant sur ses épaules blanches.

Il se virent aussi au pâturage, près du feu des bergers, où, sur une flûte qu’il avait fabriquée lui-même, il lui jouait des airs mélancoliques dont elle chantait les paroles, d’une voix émue. Ils se rencontrèrent lorsqu’elle cueillait des baies et cherchait des champignons dans la forêt où il abattait du bois ; ils se voyaient aussi chaque dimanche à l’église. Ugari apportait des fleurs à son amoureuse. Il éleva une jeune pie et lui apprit à