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À KOLOMEA.

mura un « Christ soit glorifié », j’en ressentis une telle frayeur, qu’il me sembla que ce n’était pas moi, mais une voix inconnue qui lui répondit de loin : « Éternellement ! Amen. »

Ce qu’elle faisait là, mon Dieu, c’était certainement bien horrible ! Horrible, par son excessive simplicité même. Si elle eût évoqué le diable, j’en aurais encore pris mon parti, mais ce calme froid, mais cette paix, cette immobilité de cadavre, je ne pouvais me l’expliquer, non, certes !

De loin, on l’eût prise pour une Madeleine, en bois sculpté et peinte de couleurs vives, agenouillée au pied de la croix. Elle ne parlait à personne, elle ne regardait personne, elle ne demandait pas l’aumône, elle ne priait pas, et ne pensait guère à exercer la magie. Seulement elle se tenait là, tous les soirs, devant l’image blême du crucifié, les yeux arrêtés vers l’orient, comme une mahométane qui invoque le prophète.

Elle paraissait attendre quelqu’un avec cette foi, avec cette confiance inaltérables qui caractérisent les fatalistes. Rien ne lui faisait quitter son poste. Que le soleil couchant répandît sa chaude lumière dans la vallée, et l’éblouit de ses tons criards, que la pluie tombât à flots, que la foudre sillonnât l’air de ses lacets de feu ou que la neige l’enveloppât comme d’une blanche mousseline, elle restait là, toujours grave, toujours triste, jusqu’à ce qu’il fît nuit autour d’elle, et que les étoiles couvrissent la nappe du ciel, comme autant de sequins étincelants. Elle se levait lentement, alors. Elle jetait un dernier regard vers l’orient, et s’acheminait dans la direction du hameau regagnant sa chaumière.

On la disait idiote. Elle ne l’était pas le moins du monde. On la croyait isolée, malheureuse, malade. Elle