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À KOLOMEA.

« Je sais que vous regrettez de ne pouvoir me rendre service, dit-il, je le sais. »

À ce moment entra le juif propriétaire de l’établissement, qui prévint humblement le voyageur de Czernowitz que ses chevaux étaient prêts. Macédon Wolinski fit ses préparatifs, s’approcha de moi, et me tendit la main :

« Il faut pourtant que vous sachiez à qui vous avez parlé. »

Il fixa sur moi un œil perçant ; son regard devint tout à coup plus étrange :

« Vous ne me trahirez pas : je suis le futur roi de Pologne. »

Il salua légèrement et sortit, plein de majesté. En passant le seuil, il bouscula un propriétaire du district de Tchertkeuer qui est un de mes bons amis. Celui-ci le regarda s’éloigner, et entra dans la chambre en riant aux éclats. Nous nous dîmes bonjour.

« Tu le connais ? demandai-je vivement.

— Parbleu oui, je le connais, répondit le nouveau venu ; est-ce qu’il s’est bien moqué de toi, dis ?

— C’est donc quelque cerveau brûlé ?

— Non, non.

— Un fou, peut-être ?

— Si c’en est un, il est bien inoffensif, répliqua mon ami, honnête enfant de la petite Russie ; tout Polonais est hâbleur, tantôt plus, tantôt moins. L’un capture un canon pendant une guerre et se vante d’avoir pris tout un camp d’artillerie, l’autre achète à sa femme une fourrure de deux cents florins et jure qu’elle lui en a coûté cinq cents. Celui que tu viens de voir a, sa vie durant, eu soif d’un rôle quelconque, et, quoiqu’il n’ait jamais eu l’occasion de sauver la vie à un chat, ou seule-