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À KOLOMEA.

tre côté de la forêt, les loups ont attaqué une paysanne et font mise en pièces. Ce serait peut-être mieux si je… »

Mais Aldona ne l’écoutait plus. Elle brandit le long fouet sur les têtes noires de ses chevaux d’Ukraine, et l’équipage fougueux l’emporta comme un tourbillon.

C’était une course fantastique, celle qui entraînait ce traîneau blanc à tête de cygne, ces pétulants coursiers d’un noir d’ébène, et cette belle femme vêtue de fourrures princières, à travers l’immense plaine, sans bornes comme l’Océan et d’une lugubre monotonie !

Lorsque Aldona rasa le ruisseau dont les murmures se taisaient, étouffés par une couche de glace, les saules, qui y étendaient leurs branches enveloppées de neige, semblables à des bras éblouissants, se dressèrent au-devant d’elle comme autant de spectres dans leurs suaires. Ils se balancèrent tristement, poussèrent de longs soupirs, et s’inclinèrent, menaçants, estompés par la sombre nuit d’hiver. Aldona détourna la tête et [fit] claquer son fouet pour dissiper tous ces fantômes.

Les chevaux soufflaient avec peine. Les clochettes dont leurs harnais étaient parés rendaient un son de plus en plus clair. Le traîneau craquait en gémissant.

Ils longèrent un village où la neige menaçait de défoncer les toitures. Des colonnes de fumée, que le clair de lune changeait en vapeurs d’argent, montaient dans l’air. Par moments, un aboiement sourd et lamentable, une prière, chantée dans le lointain, unissaient leur rythme plaintif. De petites lumières pointillaient derrière